Le 23 juin 2012

Bienvenue sur le blog du magister cogitans, professeur de langues anciennes depuis dix ans maintenant, sur un poste en collège. Ce blog a vocation à mettre à plat les réflexions du rédacteur sur l’enseignement des langues anciennes et leur actualité. Vous seront proposées des descriptions de séances, des recensions d’ouvrages en lien avec le monde antique ou l’enseignement des lettres classiques, des commentaires d’articles sur les mêmes sujets, et plus généralement des réflexions sur la didactique des langues anciennes.

Afin de clarifier le propos, ce blog ne s’occupera pas de didactique du français ou d’actualité de l’éducation. Puisse-t-il ouvrir des pistes de réflexion à des collègues de lettres classiques, et que ceux-ci, en retour, fassent part des leurs !

Vale,

le magister

samedi 22 juin 2013

La réforme du CAPES de Lettres: évolution, sujétion ou disparition?

Après un long silence, parce que les cours, les formations, les activités syndicales ne se préparent ni ne s'organisent en deux minutes, me voici de retour pour commenter ce qui me paraît être une nouvelle lourde de significations en cette fin d'année scolaire: la réforme du CAPES de Lettres.

En effet, l'arrêté du 19 avril 2013 fixant les modalités d'organisation des concours du certificat d'aptitude professionnelle du second degré acte la fusion du CAPES de Lettres Modernes et du CAPES de Lettres Classiques. Dans le cadre de l'alignement du nombre d'épreuves de tous les concours de recrutement des professeurs du second degré, les écrits et les oraux sont réduits en nombre, afin de parvenir à l'organisation de deux épreuves écrites et deux oraux, contre trois lorsque j'ai passé ces épreuves. Lors de son inscription à la préparation du concours, le futur candidat aura le choix entre une option classique ou une option moderne, qui détermineront le contenu des épreuves qu'il préparera et auxquelles il se soumettra. 
A mon sens, le premier problème se pose dès cet instant: si l'épreuve de dissertation semble ne pas trop changer, mais simplement fusionnée, l'obligation de ne proposer qu'une seule autre épreuve écrite a conduit à créer une épreuve hybride comme second écrit. L'impératif étant de vérifier les connaissances en langue, en histoire littéraire et en histoire antique des candidats dans DEUX langues anciennes, l'étudiant qui compose se retrouvera face à une hydre cognitive: une double version commentée. A l'heure où le concept (tout à fait vérifiable scientifiquement) de surcharge cognitive est mis en avant dans l'enseignement, voir apparaître une telle épreuve, même si elle concerne de jeunes adultes et non des enfants, et même s'il est important de vérifier les connaissances dans les deux langues anciennes susceptibles d'être enseignées dans le secondaire, voir apparaître une telle épreuve, qui demande aussi une mise en jeu professionnelle des textes à traduire, est assez savoureux, ou ironique c'est selon. A côté de cela, le candidat d'option moderne aura une épreuve de grammaire comparée, qui, si elle ne se fera pas les doigts dans le nez, reste cognitivement plus reposante que l'épreuve des classiques.
Ensuite, pour ce qui est de l'oral, on peut déceler là encore une dissymétrie en faveur des modernes. Chacun aura, cela s'entend, une épreuve d'explication de texte de langue française assortie d'une question de grammaire. Mais lorsque le classique ne composera que pour une épreuve d'analyse de situation professionnelle en latin et grec, avec, n'en doutons pas, un bout de traduction dans chaque langue, le candidat moderne aura un éventail de choix bien plus varié et attractif pour un étudiant: théâtre, cinéma ou latin pour le collège... 

Le risque de cette dissymétrie, c'est de voir les étudiants bouder le parcours "Classique" et, à terme, le voir disparaître.

Certaines propositions de cet arrêté vont dans le bon sens, telles que l'officialisation de la question de grammaire française à l'oral, et la volonté de mettre en avant d'autres dimensions de l'enseignement des lettres (cinéma, théâtre...). Mais, si les protocoles de la seconde épreuve orale ne sont pas alignés, le choix des candidats se portera plus volontiers sur l'option moderne, parce que l'éventail d'options y est plus vaste.
Au passage, notons que l'institution fait en sorte de préserver le latin, qui est aussi proposé aux modernes, mais que le grec reste aux oubliettes.

Si on peut voir derrière cette modification des épreuves le vieux topos anticlassique, elle répond surtout à un impératif au vu de la situation des LC dans le supérieur. Les effectifs s'effondrent, les filières, du fait de la loi LRU sur laquelle le gouvernement actuel ne revient pas, se ferment, et, par conséquent, les postes au CAPES ne sont pas pourvus depuis deux ans maintenant (Le CAPES LC 2011 a vu 77 candidats admis pour 185 postes offerts, celui de 2012 75 admis pour 170 postes).
Il n'empêche que la lecture des réactions à cette nouvelle sur les réseaux sociaux laisse un drôle de goût. On y lit surtout les vieilles rengaines, le plus souvent défendues par ceux qui disent vouloir démocratiser l'enseignement. On reste sur l'analyse que les langues anciennes sont par essence élitistes, et on propose de les démocratiser ... en les supprimant. Or, le paradoxe étant que la demande sociale de cet enseignement n'a jamais été aussi forte, puisque 21,9% des élèves choisissent de suivre un enseignement optionnel de langues anciennes au collège. Certains avancent que le problème vient des méthodes d'enseignement du secondaire, qui seraient restées archaïques et monolithiques (tiens, deux mots grecs...). C'est faire peu de cas du volontarisme de nombreux enseignants, de l'action de la CNARELA et des modifications des pratiques d'enseignement (dont il faudrait, je pense, tirer un bilan clair et objectif). Bref, c'est faire preuve d'une certaine méconnaissance du dossier que d'avancer cela. De plus, le reproche d'élitisme se fonde aussi sur la manière de recruter les élèves. Les enseignants de LC maintiendraient eux-mêmes une certaine sélection dans leurs sections en choisissant les élèves au bulletin. A ma connaissance, c'est dans d'autres options dérivatives (bilangue et classes euro pour ne pas les nommer) que l'étude du dossier scolaire est monnaie courante... Et lorsque ces admonestations s'accompagnent de félicitations bruyantes, basées sur une vision passéiste qui se présente comme progressiste, le découragement peut parfois poindre. 


Pour finir, lorsqu'on cherche les causes de la désaffection de la filière dans le supérieur, on ne peut laisser de côté l'explication de la pédagogie appliquée dans le secondaire. Si l'on regarde les chiffres, on peut voir que, sur le temps long, de l'optionnalisation à nos jours, c'est lorsque la volonté d'enseigner la langue par le texte authentique, ainsi que le renoncement à la grammaire de phrase dans l'enseignement du français, se sont imposés que les effectifs ont commencé à baisser (voir data.gouv et cette explication de M. Philippe Cibois). La seconde référence que je vous propose établit que, toujours sur le temps long, on assiste à une grande augmentation du nombre d'élèves qui suivent l'option par rapport à l'époque à laquelle font constamment référence les détracteurs de cet enseignement. C'est à partir du moment où l'enseignement du latin n'a plus proposé de progression raisonnée et facile de l'enseignement de langue, qui devrait avoir pour but de faciliter la compréhension des textes, textes que nous devons toujours étudier (la réunion récente de l'IG des lettres rappelle que l'enseignement des langues anciennes se structure autour de la lecture de textes) et qui visent à donner confiance à l'élève dans sa capacité à comprendre la langue latine et la pratiquer, c'est à partir du moment où les profs (et moi aussi) se sont mis à construire des séquences en mettant à la traîne la progression linguistique, ou en utilisant le texte comme "support", que les effectifs ont baissé. En effet, le but de l'apprentissage progressif et raisonné de la langue n'est pas de répéter des déclinaisons, mais de faire que l'élève puisse accéder seul au texte, de faire qu'il découvre ces liens entre passé et présent, entre mondes antiques et monde moderne, par lui-même, et non pas plongé dans une fausse liberté, dans un bac à sable qui serait la grille de lecture de l'enseignant. Le pari de ne travailler que le texte authentique (de quel texte authentique parle-t'on?) s'est retourné contre les langues anciennes,  il faut avoir la lucidité de constater cet échec et d'en tirer des enseignements pour avancer.

In fine, la crise que connaissent en ce moment les langues anciennes dans le secondaire et le supérieur prend aussi sa source dans les contradictions internes de l'enseignement des LCA. C'est après tout une discipline dont on dit que son objet est important, une clef de compréhension du monde contemporain, mais dont on déconseille en sourdine de travailler le mode d'emploi, à savoir la langue. Bref, un enseignement qui semble mettre la charrue avant les bœufs.

 Je m'efforcerai de creuser cette question dans un prochain billet.

Le Magister