Le 23 juin 2012

Bienvenue sur le blog du magister cogitans, professeur de langues anciennes depuis dix ans maintenant, sur un poste en collège. Ce blog a vocation à mettre à plat les réflexions du rédacteur sur l’enseignement des langues anciennes et leur actualité. Vous seront proposées des descriptions de séances, des recensions d’ouvrages en lien avec le monde antique ou l’enseignement des lettres classiques, des commentaires d’articles sur les mêmes sujets, et plus généralement des réflexions sur la didactique des langues anciennes.

Afin de clarifier le propos, ce blog ne s’occupera pas de didactique du français ou d’actualité de l’éducation. Puisse-t-il ouvrir des pistes de réflexion à des collègues de lettres classiques, et que ceux-ci, en retour, fassent part des leurs !

Vale,

le magister

samedi 19 janvier 2013

Les expressions latines et la philosophie antique

J'ai fini récemment la lecture de l'étude de Philippe Cibois, L'enseignement du latin en France, une socio-histoire, publiée en 2011 et disponible en suivant ce lien. Peut-être le lecteur connaît-il son carnet numérique de recherche et de réflexion, qui est proposé en lien sur ce blog et qui est un riche stimulant pour la réflexion sur l'enseignement des langues anciennes. 
Dans la partie de son étude intitulée "Que faire aujourd'hui?", le sociologue établit que toutes les raisons qui poussaient autrefois à l'étude du latin, qu'elles soient culturelles, religieuses, sociologiques ou politiques ont quasiment disparu. Qui plus est, on peut dorénavant répondre à la principale motivation, ce que Philippe Cibois appelle "l'enracinement antique" sans en passer par l'apprentissage de la langue. Or, les enseignants de lettres classiques sont un groupe professionnel qui se distingue par sa formation linguistique, et aspire logiquement à transmettre cette formation et à la pérenniser. Comme je le disais dans un précédent billet, laisser de côté la langue ancienne dans notre pratique n'a pas de sens autre que celui de se tirer une balle dans le pied: un professeur de lettres modernes, d'histoire-géographie ou même un érudit pourrait proposer des cours de littérature antique en traduction tout autant qu'un professeur de lettres classiques. En conséquence, l'enseignement du latin est écartelé par deux forces contradictoires. Philippe Cibois l'exprime avec une très grande clarté dans les lignes suivantes:

"Nous sommes donc confrontés à une demande sociale qui fait sienne le désir d'enracinement dans la culture antique et au comportement d'un groupe professionnel qui ne veut pas abandonner sa spécificité légitime d'enseignement linguistique." (Ph. Cibois, L'enseignement du latin en France, une socio-histoire, p. 197)

A partir de là, et en prenant acte du fait que les programmes proposés, s'ils sont satisfaisants intellectuellement, semblent dans les faits infaisables, d'un contenu inatteignable pour des élèves du secondaire, à moins de sacrifier l'apprentissage de la langue, deux voies semblent possibles: 
Considérer le latin comme une langue, et plus précisément comme une langue de communication, et l'enseigner comme telle. C'est la piste suivie par Claude Fiévet et sa méthode audio-orale, qui a été mise en avant lors du colloque organisé par le Ministère de l’Education Nationale à Paris, les 31 janvier et 1er février 2012, « Rencontres Langues anciennes, Mondes modernes. Refonder l’enseignement du latin et du grec ». La même piste est suivie par les enseignants Orberg. C'est ce que l'on appelle le latin parlé ou latin vivant. C'est la voie suivie par mon éminent collègue Olivier Rimbault, dont le site via-neolatina est lui aussi référencé sur ce blog. 

Ou bien considérer, comme le propose Philippe Cibois dans son étude, que l'on doit entrer par la langue non plus par la littérature ou l'histoire, mais par les expressions qui restent présentes en français. C'est ce que Philippe Cibois appelle "le latin du français". A partir de la page 198 de son étude, Philippe Cibois ébauche une méthode d'apprentissage progressif du latin à partir des expressions latines les plus courantes de la langue française, telles que manu militari, casus belli, curriculum vitae et caetera (jolie mise en abyme...). Philippe Cibois s'en explique dans ce billet. 
Ces deux voies semblent intéressantes et motivantes, en tout cas davantage que faire du repérage de vocabulaire potentiellement transparent avec des élèves de cinquième dans du Ovide. Cependant, la première nécessite, à mon sens, pour bon nombre de professeurs de LC (dont moi, soyons honnêtes), une remise à niveau drastique en langue. Concernant la seconde voie, celle de M. Cibois, on peut se poser la question suivante: pourrait-elle être développée en y intégrant un autre pan d'expressions latines telles que les Sententiae


En effet, il me semble qu'un des paradoxes de l'enseignement des langues anciennes dans le secondaire est qu'il laisse finalement, si l'on s'en tient aux programmes, une place marginale à un domaine de l'Antiquité qui est pourtant fondamental, et qui résonne toujours aujourd'hui: la philosophie
Cette entrée, si on la développe un peu, selon les principes posés par Philippe Cibois, pourrait nous permettre d'intégrer un enseignement non seulement linguistique, mais aussi et peut-être davantage encore ,culturel. 
J'ai testé cette entrée en cours avec des élèves de troisième, en travaillant autour de l'expression: 

Ne quid nimis. (Rien de trop)

Je vous fais part, un peu à la volée, du déroulement de la séance et de ce que l'on peut tirer de cette minuscule expérience. 

En fait, je n'ai pas travaillé l'expression à proprement parler, mais j'en ai fait une sorte d'historique, ce qui m'a permis de travailler sur certaines de ses nombreuses variations latines (Nemini nimium bene est [L'excès n'est bon pour personne, Afrianus], Vitium est ubique quod nimium est [Il y a vice partout où il y a excès, Quintilien], notamment) et grecques, dont le fameux Méden agan (Μηδὲν ἄγαν), Rien de trop, gravé sur le fronton du temple d'Apollon à Delphes (Il faudra que j'intègre une police de grec ancien sur ce blog, si cela est possible).
Pour ce qui est des aspects linguistiques, les élèves et moi-même nous sommes demandés pourquoi et comment ce genre d'expression pouvait rester, durer. Ils en sont venus à faire des constatations purement stylistiques (brièveté, assonances et allitérations, semblant de parallélisme de construction...). Nous avons naturellement noté le vocabulaire inconnu. 
Pour le reste, cette réflexion a permis d'aborder la notion d'excès (pourquoi est-il mal vu?), d'évoquer les Sept Sages de la Grèce, personnages sur lesquels je poursuivrai un peu plus tard, et de poser les jalons d'une découverte ultérieure du stoïcisme. 
On pourrait tout à fait justifier une telle démarche face à l'institution en mettant en avant l'ECLA (Enseignement Conjoint des Langues Anciennes) et la compétence 5 du socle (Culture humaniste), voire, en étant particulièrement servile, l'enseignement moral. 

Si je dresse le bilan de cette séance, il est plutôt nuancé:

Si cette méthode n'est pas proposée de manière systématique, il ne s'agit alors ni plus ni moins que d'un dispositif du type "L'expression de la semaine/du jour/du mois" (rayez la mention inutile), qui ne permet pas forcément aux élèves de fixer le vocabulaire et les structures linguistiques étudiées. Pour ce faire, il faudrait, comme je le disais, pratiquer quasi exclusivement ainsi et/ou faire apprendre ces sentences par coeur.
L'autre écueil à éviter serait de tomber dans une exégèse hors de portée des jeunes collégiens. 
Il s'agit enfin de ne pas partir dans trop de directions simultanées (la langue? le stoïcisme? l'histoire culturelle?...).

Pour améliorer cette méthode, il conviendrait de l'intégrer aux propositions de Philippe Cibois. Il y a donc face à qui veut s'en emparer, à côté de la progression déjà mentionnée, un gros travail de sélection des sentences pour créer une progression linguistique qui permette à l'élève de traduire facilement. Ensuite, selon ses opinions et habitudes pédagogiques, un travail culturel (via exposés, recherches, synthèses) et/ou d'initiation à la philosophie (relectures, recherches d'échos littéraires ou artistiques...) peut être entrepris. Pour ce faire, le Dictionnaire des sentences latines et grecques de Renzo Tosi, mentionné sur ce blog, est un outil très précieux.

En cette fin de billet, je tenais à remercier M. Philippe Cibois. Son travail est une grande source de réflexion didactique pour moi. De la même manière, je tenais à remercier Olivier Rimbault; je vous reparlerai bientôt de son ouvrage, cité sur la PAL (Pile A Lire) de ce blog. Je vous encourage vivement à fréquenter leurs sites.

Le magister.

1 commentaire:

  1. Cher magister,
    si je ne me trompe pas, tu ne peux pas intégrer une police grec ancien sur ton blog. Tu peux utiliser celles qui sont présentes sur ton ordinateur, et tes lecteurs pourront lire s'ils possèdent la même.
    Deux solutions s'offrent donc à toi : soit tu te contentes de la plus répandue, à savoir Symbol, et tant pis pour les esprits et les accents ; soit tu utilises une bonne police de grec, mais tu indiques à tes lecteurs ce dont ils ont besoin pour la lire.
    Bonne continuation.

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